Erwin Trum
Récit biographique
Naissance - 9 décembre 1928 à Munich, Allemagne
Décès - 7 février 2001 à Nîmes, France
Repose au cimetière du Montparnasse, Paris
1928 - Petite enfance
A sa naissance, Erwin Trum est placé en nourrice près du le lac de Starnberg, aux environs de Munich jusqu’en décembre 1932. A cette époque l’économie est à plat, les journées de travail sont interminables. Placer son enfant en nourrice était fréquent pour les parents qui avaient quelques moyens.
Les parents
La première partie de ma vie, la toute première partie de ma vie, ça se passe entre 1928 et 1932, c’est-à-dire jusqu’à ce que mes parents se marient. Alors j’étais plus ou moins, comment dirais-je… En nourrice près du le lac de Starnberg aux environs de Munich, là où il y a eu le fameux roi fou de Bavière avec tous ses châteaux.
Il y avait une famille qui faisait partie, ou qui a eu des liens je ne sais à quel degré avec la monarchie. Alors, en 1918, après la guerre, c’est vraiment tombé à zéro. Mais ils avaient une grande propriété et ils ont accepté les gosses en nourrice.
Dès mon plus jeune âge mes premiers souvenirs c’est la grande compagnie des enfants. On était une douzaine, une vingtaine, entourés de cinq six femmes de tous âges, grands-mères jusqu’à jeunes filles, et puis quelques éléments masculins plus ou moins genre grands-pères.
Pour moi, c’est l’époque la plus heureuse, c’était vraiment la vie en pleine campagne, en pleine nature.
Dans ma quatrième année
Est arrivé un moment où je remarquais un jeune homme et une jeune femme qui revenaient plus ou moins régulièrement le dimanche, puis un homme qui venait à leur côté. On m’appelait, j’allais dans le jardin et ils étaient là, ils m’attendaient. La femme m’a embrassé et puis le bonhomme m’a donné une tablette de chocolat et cætera… Bon, c’est chouette une visite comme ça n’est-ce pas ? Et puis je repartais. Mais jusqu’au jour où ils sont venus me chercher pour me mettre dans le train.
C’était mes parents. Alors pour moi c’était fini la fête !
On m’a ramené à Munich
Et là pendant trois quatre jours… Vraiment… J’ai eu du mal à m’adapter. La ville, être enfermé dans un petit deux pièces cuisine au troisième étage Nymphenburg Strasse, c’était l’enfer parce que la vie pour moi c’était la campagne entourée de tout le monde. Et là ça a été Psittt … Presque comme en prison, j’étais malheureux comme tout.
Je n’avais jamais vécu dans un milieu familial réel, c’est pour ça que mes liens avec mes parents ont été ambigus. Toute ma première enfance s’est passée ailleurs, les parents ont été quelque chose d’imposé.
A l’époque je ne savais ni lire ni écrire, mais j’aurais pu dire comme Gide
« Mes parents je vous hais »
Dans ses derniers dessins à la mine de plomb en 1997, les enfants curieux, observateurs de la scène sont omniprésents.
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1933 - Munich
Son père est militaire
Hörwachmeister (Transmissions) embauché en vingt-trois pour sortir en mille-neuf-cent-trente-cinq en tant que sous-off. Il opte pour un poste de maréchal des logis la même année. L’armée à l’époque était un refuge contre l’emprise du parti.
Il était d’origine paysanne Bavaroise
C’est un milieu catholique, chrétien même s’ils ne sont pas pratiquants. Ils ont certains tabous qu’il ne faut pas transgresser, il y a un guide moral si on peut dire, même en politique. Le 20 avril, jour de l’anniversaire d’Hitler, il pose un svastika à sa fenêtre comme tout le monde, mais un svastika en berne en signe de deuil, sa façon d’exprimer sa désapprobation. Il est immédiatement repéré par les milices. La famille est cataloguée “Peu fiable“.
Un matin je me lève
Je regarde par la fenêtre. Il fait beau. Je vois que toute la rue pavoisait, des drapeaux, des svastikas. Toute la ville était dans une espèce de quatorze-juillet sauf que les couleurs n’étaient pas les mêmes. Je regarde, je me recouche, et soudainement j’entends la musique qui vient de loin, une musique de défilé et j’entends aussi du bruit dans les escaliers.
Des hommes qui montent, ça frappe à la porte, sans doute des hommes en manteau de cuir et un chapeau. Ma mère ouvre, elle appelle mon père et mon père sort. Une discussion s’engage au bas de l’escalier de manière assez vive. Ca commence à gueuler avec des injures. Finalement la porte claque et mon père est rentré, il ouvre la fenêtre et il rentre son truc.
Il ne m’a jamais parlé de ce détail jusqu’en quarante-cinq.
Il m’a dit
Tous les emmerdements que j’ai eues ensuite à l’école, ça venait de là. On avait une espèce de livret scolaire, mais c’était non seulement les aptitudes de l’élève mais aussi la fiabilité de l’élève, la fiabilité de sa famille et cætera. C’était une loi qu’on peut appeler dans un terme très germanique « Geplütz zwang ». Ça veut dire « Vous êtes membre d’une famille, vous êtes responsable des membres de votre famille ».
Autrement dit vous êtes presque pris en otage par tout le monde, et là-dessus toutes les aventures plus ou moins extraordinaires ou extra-scolaires que j’ai eues ça vient de là. Il ne m’a jamais dit « Va à l’église, va pas à l’église ». Tu vas à la jeunesse hitlérienne si tu veux ou si tu veux pas t’y vas pas et cætera, il m’a toujours laissé le libre choix. Il ne m’a jamais influencé d’un côté ou de l’autre, il était neutre.
Mais comme il me l’a expliqué plus tard, il ne pouvait rien faire sinon il se mouillait lui-même parce qu’on sait bien qu’un gosse ça bavarde.
En 1933, à Munich
j’avais tout juste quatre ans et j’ai assisté aux premières loges à la prise de pouvoir d’Hitler. La prise de pouvoir d’Hitler c’est pour moi une image permanente dans la mesure où je me méfie de la foule depuis.
La foule c’est pour moi quelque chose d’irresponsable et de menaçant.
Une voix
A Munich, nous habitions un modeste appartement mansardé avec cuisine, rue Nymphenburg, n°27, pour 50 Reichsmark par mois. C'était beaucoup d'argent comme je l'entendais dire constamment.
Mon père était maréchal des logis dans l'armée d'armistice. Quand il rentrait de manœuvre, il sentait le fumier de cheval et la poudre. Le dimanche souvent, il bricolait, ressemelant des chaussures ou coupant des vêtements pour ma mère.
Un jour, il installa sur le buffet un appareil avec un grand cornet
Un aimant en fer à cheval et une lampe scintillante, tourna des boutons, se démena puis se tourna fièrement vers ma mère. C'était un poste de radio : Et voilà la station de Munich. Sortant de ce grand cornet en carton posé sur le buffet de la cuisine, j'entendis pour la première fois des noms de chanteurs comme Benjamino Gigli, Erna Sack ou Léo Slezak.
Une voix féminine dont le son, comme venu d'un infini lointain et en même temps chaude et profonde, m'enveloppa. Cette voix, ce nom, je n'ai pas pu les retrouver, je les ai entendus une fois et plus jamais ; C'était le grand air d'Orphée et Eurydice de Gluck.
Plus tard, quand les chaînes stéréo devinrent accessibles à mes moyens,
J'achetais des coffrets de disques espérant entendre à nouveau cette voix : "Ah, je t'ai perdu". La seule voix qui s'approchât pour moi de cette voix à jamais inconnue, était celle de Kathleen Ferrier dans la rhapsodie pour chœur et orchestre de Brahms, sur des vers de Goethe : "L'herbe se redresse à nouveau".
Grave et charnelle, cette voix sortie des profondeurs du ventre utérin est associée pour toujours à la mort d'Orphée.
Les mots sont tumulte et fumée, la voix c'est le diaphragme de l'âme
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1936 - Ratisbonne
Pour tenter d’échapper à l’emprise du parti son père obtient un nouveau poste de maréchal des logis loin de Munich, à Ratisbonne où les grands-parents paternels travaillent dans une ferme à proximité.
Pour en venir aux camps de concentration
Dire « Moi je ne savais rien » je serais un sacré menteur. Dans les années trente-quatre / trente-cinq, je savais parfaitement qu’il y avait un camp de concentration à Dachau.
Je me rappelle encore quand ma mère m’envoyait faire les courses chez l’épicier en face il y avait des discussions entre voisins, entre femmes et cætera « Tient où est-ce qu’il est untel ou untel, il y a déjà longtemps que je l’ai pas vu ? Oh celui-là il est sans doute à Dachau et c’est bien fait pour sa gueule ! ». Tu vois par exemple deux chauffeurs de taxi ou deux personnes qui s’engueulent en pleine rue « Bien si t’es pas content je t’envoie à Dachau », c’était presque monnaie courante.
Evidemment, je ne savais pas ce qui se passe à Dachau, mais je savais que Dachau existe et qu’il se passe quelque chose là-bas.
Il y avait un gars il s’appelait Draxler.
Draxler je ne sais pas ce qu’il avait fait dans sa vie, il habitait au rez-de-chaussée en face, je ne sais pas ce qu’il faisait comme métier, mais je le voyais tous les jours surtout le dimanche sortir avec sa chemise brune, c’est-à-dire SA (Sturmabteilung ou section d’assaut), ça faisait partie de son exercice quotidien ou hebdomadaire.
Un jour mon père, j’avais fait une connerie quelconque, j’avais cassé quelque chose, il me dit « Si vraiment t’as envie de casser quelque chose, prends un pavé et fous ça dans la fenêtre de Draxler ».
Autrement dit il ne pouvait pas le piffer.
J’avais un copain qui habitait pas loin de chez nous
Il s’appelait Richard. Lui était en terminale et moi j’étais dans les classes primaires, il venait tous les matins me chercher en bicyclette pour m’emmener à l’école, on était vachement copains. Jusqu’au jour, je ne connaissais pas encore le terme, c’était un homosexuel.
Mais ce que j’ai appris plus tard parce qu’il avait quelques années de plus que moi, il a été appelé à l’armée et tout de suite… Je ne l’ai jamais revu.
Hitler à Ratisbonne
C’était pour le dévoilement du buste d’Anton Bruckner. On était obligés de s’aligner sur le trottoir, bien habillés, les chaussures bien astiquées. Tous les trottoirs étaient pleins.
Je vois quelques SA et des hommes en manteau de cuir qui guettaient toutes les fenêtres parce qu’il ne fallait pas qu’une fenêtre soit ouverte et qu’un pot de fleur soit trop mis en évidence, alors il fallait fermer toutes les fenêtres et rentrer les pots de fleurs. C’était à la fois opération ville morte et ville peuplée, mais peuplée uniquement dans les rues où c’est surveillable.
Et moi j’étais là au premier rang avec ma classe
Il y avait aussi toute une rangée de jeunes filles de la jeunesse hitlérienne avec robe noire, la cravate noire et le blouson blanc, les nattes obligatoires, des fleurs et tout ça… Oh, c’était très accueillant, très chaleureux la Bavière.
Et puis quelques voitures, quelques Mercedes arrivent, quelques motards et une grande Mercedes décapotable. Je vois un mec à l’intérieur qui se tenait sur le pare-brise, moustache, la caquette bien enfoncée, un bras tout raide. Il est passé comme une statue de cire, c’était lui et tout le monde a applaudi, il est parti et tout le monde est reparti. Le spectacle a duré à peu près deux minutes, mais la préparation a commencé à huit heures pour se finir à midi.
La nuit de cristal (9/10 novembre)
C’était un certain jour où les personnes autour de moi parlaient du « Grand truc ». Il y’avait un grand magasin à Ratisbonne, une grande maison de confection qui s’appelait le « Kaufershopping ». C’était un propriétaire juif, tout était cassé chez lui, j’ignore encore le reste, pourquoi et cætera… Mais en tout cas c’est la nuit où il y a eu la « Grande casse ».
Puis le dimanche après, je me rappelle, nous sommes partis en dehors de Ratisbonne à quelques kilomètres, un tout petit patelin qui s’appelle Brufingen. A côté, il y’avait une grande ferme où mes grands-parents travaillaient. J’appelle ma grand-mère, elle était là quand tout le monde était rassemblé, et puis on a parlé. Elle était là toute seule, elle regardait le mur en face.
Il y’avait un grand crucifix et elle me dit « Ça, il n’aurait jamais dû faire ». « Il ? ». Qui ça « Il ? »
Evidemment ça voulait dire Hitler
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1939 - Bayerisch-Eisenstein
Son père obtient un poste de douanier à Bayerisch-Eisenstein, un village jumelé avec un côté en Bavière et l’autre côté en Tchécoslovaquie. La douane était au milieu du village. Eisenstein est aujourd’hui une station de ski.
Quand on allait à l’école
Il y avait une dizaine de dialectes, ça dépendait de quelle vallée tu venais. La région était très riche en cristaux de quartz et il y avait une production verrière artisanale importante. Par exemple, le grand service de cristal de Buckingham de la reine d’Angleterre, jusqu’à avant-guerre, ça venait de là parce que pour faire du cristal il faut certains matériaux.
La qualité du verre dépend de la qualité du sable, du quartz, mais aussi de la qualité de l’alcalin, c’est-à-dire le bois, la braise les cendres, et tout ça donnait une certaine qualité.
Et aussi tant que c’était possible on écoutait toujours radio Prague
Parce que c’était un des rares émetteur où on avait une musique différente. Sur toutes les chaines Allemandes, tu avais le programme commun, du matin jusqu’au soir c’était la même ratatouille. Après il y avait Radio Belgrade qui donnait de la musique différente.
Mais aussi radio Toulouse
On l’écoutait très bien à Eisenstein à l’époque. Ici Radio Toulouse ! C’est la première voix en Français que j’entendais, je ne savais pas ce que ça voulait dire mais je l’attendais tous les soirs.
Le début de la guerre
Mon père, vu les emmerdes qu’il avait avec le parti
Est retourné à ses origines, il a été un des premiers volontaires à la Wehrmacht pour la campagne de Pologne, surtout pour échapper au parti. Je le vois encore partir.
C’était un jour de septembre en trente-neuf, j’étais parti vers sept heures du matin pour aller à l’école, et à mi-chemin un motard arrive avec un side-car qui nous double. Il y’avait un gars de la douane qui tenait le guidon et mon père dans le side-car, il m’a dit au revoir et ils sont parti.
C’est la dernière image que j’ai de lui.
Ma mère, quant à elle, était incorporée pour travailler
Elle était affectée dans une usine et moi j’allais à l’école. Dès l’âge de onze ans, j’étais obligé de vivre de manière plus ou moins autonome parce que ma mère n’était presque jamais là.
Mon père est revenu deux fois en permission
Mais c’était furtif, c’était jamais annoncé à l’avance. Ca frappe à la porte, il était là pour quelques jours, il repartait et moi j’étais déjà à l’internat à Horn. Quand je l’ai revu c’est après quarante-cinq, en quarante-six.
Avec ma mère on a jamais parlé de ces choses-là. Les problèmes avec le parti et autres, rétrospectivement il y avait une espèce de tabou, des choses dont on ne parlait pas et qui étaient exclues de la discussion.
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1942 - L’internat en Autriche
Ensuite, je suis parti faire mes études secondaires dans un internat à Horn en Autriche
Pour moi je crois que c’est une des expériences les plus riches que j’ai vécues, sciemment à l’époque mais aussi rétrospectivement.
C’est là où j’ai commencé à écrire, à dessiner et m’intéresser à Nietzsche. Les vacances de Noël j’écrivais au moins une pièce de théâtre. L’été c’était des poèmes de puberté si on peut dire, de toute façon ça pissait jamais loin.
Dans les écoles
Les professeurs, surtout ceux qui étaient dans un certain âge et en bonne santé, ils étaient tous au front, alors le corps enseignant était surtout constitué par des femmes.
Mais là où j’étais, à Horn, c’était presque tous des hommes. Mais ce qu’il y a d’extraordinaire c’est que ce n’était pas des profs comme on trouve partout.
C’était des profs « On ne savait pas trop quoi faire avec eux »
Mon prof d’Anglais
C’était un Allemand qui a passé toute sa vie aux Etats-Unis. Il est venu en vacances en Allemagne, la guerre s’est déclarée, il s’est fait coincer et il ne pouvait plus repartir.
Mon prof d’allemand
C’est pareil. C’était un Allemand spécialisé dans les dialectes scandinaves. Il a passé des années avant-guerre dans les iles Féroé où on y parle un dialecte scandinave resté presque intact depuis le Moyen Age. Il est venu en vacances et il s’est fait aussi coincer.
Alors j’avais un prof d’Anglais qui nous enseignait la vie en Amérique, la langue anglaise avec un certain vécu, un prof d’allemand qui nous donnait un discours dans la grammaire avec des parallèles avec la langue et la mythologie scandinave pêle-mêle.
Il y avait aussi un autre prof
Un personnage assez saisissant, des cheveux gris très longs. C’était notre professeur de maths. Avec lui, tous les manuels de maths qu’on avait il n’en avait rien à faire. Quand il venait on planquait nos livres parce que pour chaque formule mathématique il avait toujours des formules à lui, des raccourcis complétement débiles et des déductions improbables.
Avec lui on faisait déjà des maths modernes sans le savoir.
En histoire c’était pareil
Il s’appelait Heidelberg, je m’en souviens encore. Les yeux bleus, des cheveux gris le front dégarni, un homme bien assit dans sa chair, presqu’un côté curé. Il venait toujours en disant : Mes enfants, l’histoire il ne faut pas l’apprendre, l’histoire il faut la comprendre. Autrement dit, il nous faisait un discours sur l’histoire vicieux mais sur un ton très réflexif.
Pour lui apprendre les dates historiques, c’était peut-être un charme intellectuel, mais après il y a quand même les liaisons et la causalité dans l’histoire même.
Dans son discours
Quand on s’approchait de l’histoire du dix-huitième et dix-neuvième siècle, c’était presque un discours explicatif sans le dire « Pourquoi on en est arrivés à ça aujourd’hui ».
C’était très subtil parce que ce pauvre homme il risquait quand même gros.
Cette école était pour moi quelque chose de fantastique
Parce que tout était différent d’ailleurs, un esprit vraiment différent. Les manuels scolaires, on les achetait parce que c’était sur le programme mais on n’en avait rien à faire parce que le vrai enseignement était ailleurs.
Et je crois que c’est très important. Pour moi, l’enseignement ça doit être ça, pas de piocher dans un bouquin la tête carrée avec un savoir bien cadastré.
Non ! Un savoir réflexif, un savoir critique ou analytique. Tout enseignement doit être ça à mon avis. Pas qu’un apprentissage de quelque chose.
Evidemment on était sous le régime Hitlérien
Il faut se mettre dans le contexte de l’époque. Entre quarante-deux et quarante-cinq, la guerre bat son plein, l’Allemagne est un peu partout, en Russie et cætera. L’emprise du parti se fait de plus en plus fort, on gueule « A la victoire », autrement dit tout un esprit de l’époque.
Il y’avait des restrictions comme partout en Allemagne
Mais restriction ça veut pas dire la même chose partout. L’Autriche est un milieu agricole alors c’était moins fort que dans le reste de l’Allemagne.
Théoriquement c’était pareil mais il y’avait toujours moyen de se débrouiller à côté. Marché noir, marché gris ou des combines. Au moment de pénuries tout le monde se débrouille. Evidement au point de vue viande il fallait faire son deuil, mais pour les fruits et légumes on peut pas dire que ça manquait trop. Par contre le pain était infect, il était immangeable. Quand on est jeune on mange tout.
Et le chef de bahut qu’on avait était un des premiers hitlériens de l’Autriche
Un national socialiste militant de la première heure, et en même temps il était poète. Il faisait de la poésie et paradoxalement j’avais toujours la cote avec lui parce que moi aussi je faisais de la poésie.
Alors il m’appelait dans son bureau, je lisais ses poèmes et lui me faisait son discours « Il faut dire ça et ça comme ça et comme ça et cætera », Il me disait que je suis un être exceptionnel ; « TRUM ! C’est vous plus tard qui aurez quelque chose à dire à la nation allemande ».
Autrement dit il me mettait déjà sur un piédestal, une espèce d’investissement complétement débile.
Seulement ça a foiré pour une histoire dont je n’ai jamais su la fin
Il y avait l’internat pour les garçons et l’internat pour les filles. Evidemment, la communication ça marche et il n’était pas rare que des garçons du bahut passent la nuit dans l’internat des filles. Il y avait aussi toute une correspondance intime, un courrier du cœur qui s’échangeait par des billets.
Je ne sais pas exactement qui était le facteur. Je ne sais pas comment c’est arrivé, mais en tout cas un jour je suis convoqué chez lui dans son bureau.
Il me regarde de la manière la plus sévère
Il était debout derrière son bureau, chose qu’il ne faisait jamais parce que j’ai toujours été reçu assis chez lui. Il me regarde fixement et il commence à m’engueuler, il me passe un savon comme j’ai jamais vu.
J’essaie de démêler lentement ce qui se passe. Je comprends qu’il y avait une espèce de courrier du cœur qui est arrivé dans l’internat des jeunes filles, mais avec la collection pornographique la plus complète. Et je ne sais pour quelle raison, il a cru que c’était moi, pourtant je n’y étais pour rien.
Depuis là ma carrière était finie chez lui. C’était « Schluss ! » « Aus ! ».
Je revenais à la maison peut être une fois par mois
Mais à partir de quarante-trois / quarante-quatre
Ca devenait de plus en plus hasardeux. Les trains fonctionnaient toujours mais il y avait des avions américains ou anglais, surtout les fameux Lightning, des avions à double fuselage qui venaient en vol bas et ils mitraillaient le train.
Chaque fois que les avions américains ou anglais passaient, ils étaient parfois des centaines, c’était toujours un spectacle inouï. Ils étaient tellement hauts que ça faisait des étoiles en plein jour, et en même temps je savais pertinemment que rien ne tomberait ici parce qu’il n’y a rien à casser.
Alors la guerre ça se passait au-dessus de ma tête, c’était un spectacle qui change de la routine scolaire.
Ça m’est arrivé une fois en rentrant de l’école
On était en pleine campagne, on voit trois quatre Lightning qui se pointent à l’horizon, deux / trois tours au-dessus du train pour faire signe de s’arrêter et que la population sorte. Tu prends les champs et c’est les mitrailleuses en plein sur le train. Le reste tu le fais à pied.
Les signes cabalistiques et les formules de la physique
Sont les symboles d’une réalité complexe, d’un monde chiffré. Ces abréviations exerçaient sur moi, adolescent, une force d’attraction magique, d’autant plus qu’en physique, au lycée, je voyais se profiler une fin lamentable.
Présomptueusement
Je plaçais mon dernier espoir, pendant les vacances de 1944, dans le livre de physique de mon père qui, de surcroît, était destiné aux écoles techniques supérieures, mais, que faire d’autre ? Cinq années de guerre…
L’axiomatique de Newton me parut tellement évidente que je sautai aussitôt plusieurs chapitres et tombai, entre l’optique et l’électricité, sur un paragraphe où la théorie de Maxwell sur la lumière comme phénomène à la fois ondulatoire et corpusculaire, donna le coup de grâce à ma candeur.
Que signifie le photon ? Une particule qui est partout et du coup nulle part dans l’espace-temps, et qui manifeste son existence simultanément par la présence en un point et par une distance ? J’essayais de me mettre à la place de cette particule, de m’imaginer photon, existant dans la durée mais sans substance.
L’arrivée de l’Armée Rouge me délivra bientôt de mes soucis ontologiques. Durant ces mêmes vacances, je lis encore Faust-I, trébuchai à travers La Généalogie de la morale de Nietzsche, dévorai L’Antéchrist ;
Pourtant, comme un virus, le démon de Maxwell s’était insinué en moi.
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1945 - La fin de la guerre
Son père se retrouve prisonnier de guerre au camp Dermott, Arkansas (USA). Il s’est fait coincer vers la fin de la guerre dans le Sud-Ouest en France. A son retour en 1946, dans sa valise, un dictionnaire Webster’s édition luxe.
Seulement ça a complétement changé le jour où les Russes sont entrés en Autriche vers Pâques quarante-cinq
La guerre a radicalement changé de face mais aussi les comportements
Je me rappelle encore avant que les Russes arrivent, une des premières choses à faire était d’enlever tous les indicateurs sur les routes pour que l’occupant ne trouve pas les indications toutes prêtes s’il veut aller quelque part, les enlever ou les mettre carrément dans un autre sens, c’est la première phase.
Après tu vois toute la haute volaille du parti qui prend les valises et qui se taille
Ensuite c’est la deuxième rangée qui se taille avec ses trucs et finalement tu te retrouves là comme le dernier des corniauds, le dernier à partir, c’était la vraie pagaille.
Et là tu vois vraiment comment tout un système s’écroule en quelques jours, quelques heures. Ca se dissout comme une bulle de savon, plus rien.
Pire qu’au théâtre ! Si tu fais ça au théâtre personne ne te croira
Evidemment j’ai fait des rencontres avec des Russes
Les premières n’étaient pas tellement commodes parce que c’était toujours avec une mitraillette dans le dos. Il faut dire que parmi les Russes, tu trouves en premier toutes sortes de choses, vraiment des composantes dures qui n’ont aucun sens, mais d’un autre côté parmi les officiers, je suis tombé sur des gars qui sont très cultivés.
Retour à Ratisbonne
Avec ma mère nous avons été obligés de partir
Parce d’après le traité qui était conclu, toute la population allemande devait retourner à son point de départ de mille-neuf-cent-trente-sept avant l’annexion des Sudètes (1938).
D’abord je suis retourné vers la frontière Tchécoslovaque pour rejoindre ma mère. Elle était encore là-bas en attente et puis on est parti ensemble vers Ratisbonne. Il y avait encore un petit train qui fonctionnait, un tout petit train de campagne sur mini rail qui nous a transportés trente kilomètres plus loin. Après il fallait faire le reste avec le système D, débrouille-toi.
Comme ça on est arrivés jusqu’à quelques kilomètres de la ligne de démarcation américaine et ensuite on s’est perdus dans la zone Russe.
Je suis parti seul comme j’ai pu jusqu’à Ratisbonne
Et je suis passé pas loin de Mauthausen. Ce que disaient les anciens du camp de concentration, je ne pouvais le croire, c’était impensable. Ma mère m’a rejoint à Ratisbonne à peu près quatre semaines plus tard.
Et puis j’ai fait différents métiers
J’ai d’abord travaillé à la ferme de mes grands-parents. Ça n’a duré qu’un certain temps parce que pour manier le bœuf, les chevaux, les faux et tout le matériel agricole je n’étais pas du tout doué, au grand désespoir de mes grands-parents. Parce que le matériel agricole coûtait cher à l’époque, c’était difficilement remplacé. Alors j’ai fait diverses choses.
Ensuite j’ai été apprenti chez un orfèvre
J’y suis resté quelques mois. C’est un métier intéressant mais qu’est-ce que j’ai ramassé comme claques dans la gueule ! Je gaspillais trop la matière précieuse. Mais c’est déjà lui un petit contremaitre, un tout petit d’un mètre soixante-cinq, plus ou moins type Italien cheveux foncés, noirs très ondulés. Il chantait tout le temps des airs d’opéra, une très belle voix, une voix de ténor ça il faut lui laisser. Il chantait Figaro, Carmen et tutti quanti huit heures par jour.
En face de moi j’avais un autre orfèvre qui venait de l’armée. Il était amputé du bras gauche, mais le bras droit lui suffisait. Il se débrouillait comme ça et j’étais coincé entre les deux.
Si tu veux réussir dans ta vie mets-toi décorateur !
Chaque fois que je faisais une connerie
Lui en train de chanter un air de Figaro « Paf » sa main droite avec un grand élan arrivait en plein milieu de mon visage ! « Fais attention sale môme ! ».
Mais c’est aussi lui le premier qui m’a dit « TRUM ton métier d’orfèvre c’est loupé, tu ne feras jamais rien de valable là-dedans, si tu veux réussir dans ta vie mets-toi décorateur ! ». C’est la première fois qu’un homme m’a dit ça alors qu’à l’époque la décoration ça me laissait complétement froid.
Ça venait du fait que beaucoup de gens venaient avec leurs pièces d’argent, d’or ou des bagues qu’ils voulaient transformer. Il me donnait presque carte blanche.
Il faut faire des figurines, et moi je les faisais assez stylisées dans le genre médiéval ou humoristique qui se vendaient assez bien dans le magasin et ils refaisaient des séries après.
Je faisais d’abord le dessin sur une plaque en argent ou en or, je le découpais et je le montais.
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1947 - La Légion étrangère
Il arrive certaines situations de la vie où il faut sortir de ton trou, faire quelque chose
Je lisais beaucoup mais je n’avais presque pas le temps d’écrire. J’écrivais mais ça se diluait un peu, il y avait déjà la soif d’aller quelque part ailleurs et il n’y a pas toujours trente-six solutions. Pour moi la Légion était un bon moyen de partir.
La première fois que j’ai entendu parler de la Légion étrangère
C’était dans des petits bouquins de poche qu’on avait sous le régime hitlérien. C’était décrit d’une manière très négative. Je me rappelle d’histoires de la Légion étrangère à Dakar. Il y avait aussi des chansons de marins allemands qui parlaient de Madagascar et tout ça, c’était vraiment l’enfer, indescriptible.
D’un autre côté, à l’école, j’ai toujours bien aimé la géographie et je m’intéressais aussi aux livres de voyages, Marco Polo et compagnie. La bibliographie sur l’Afrique, le Proche et le Moyen Orient, l’Inde, la Chine, le Tibet, la Russie, même l’Amérique du Sud, tu en trouvais autant que tu voulais.
Mais paradoxalement sur le Sud-Est asiatique il y’en avait pas du tout et à chaque fois que j’ouvrais ma grande mappemonde, j’étais toujours fasciné par ce coin du monde. Bornéo, Java, l’Indochine, la Thaïlande et cætera.
Vers quarante-sept l’idée commençait à me travailler
J’ai su qu’il y avait une Légion à Madagascar, a priori ça ne me disait pas trop, l’Afrique du Nord, bof, ça ne me disait pas trop non plus. Mais après j’ai su qu’il y avait aussi la Légion étrangère en Indochine, là c’était déjà plus intéressant. C’est une des raisons parmi d’autres pour laquelle je suis parti.
Pour la raison essentielle il faut se mettre dans le contexte d’après-guerre
L’Allemagne est défaite, l’économie est complétement à zéro, le chômage en tant que phénomène n’existe pas mais de toute façon il n’y avait pas de boulot, pour vivre il n’y avait que le marché noir.
Alors je me débrouillais au marché noir
Je me débrouillais même pas mal. Un des gars les plus… J’en rigole encore rétrospectivement, c’était un sergent américain mais dans le civil il était un peu pasteur.
Je ne sais pas de quelle église il faisait partie mais il m’invitait toujours chez lui et il me faisait des grands speechs sur la bible tout à fait différente de celle que j’ai connue. Il me parlait de tous les grands hommes en Amérique, Abraham Lincoln, Emerson tout ça emmêlé, et en même temps de manière très naïve il me filait une cigarette en douce.
Pfffffff « Pauvre mec, si tu savais que je te les fauche par caisses entières ».
D’un autre côté il y avait d’autres Américains
Surtout ceux qui étaient dans la police militaire. C’était un calibre tout à fait différent, des mecs très durs en ville, quand ils vidaient un bistrot ils y allaient carrément à la matraque.
Mais encore pour le marché noir c’était des mecs avec qui on pouvait faire de très bonnes affaires. Il suffit d’être assez diplomate, finalement la guerre est finie on n’est pas là pour s’entretuer.
Tout ça peut durer un certain temps mais ce n’est pas une solution finale, ça ne mène à rien, il faut chercher fortune ailleurs.
La seule porte de sortie que j’avais c’était la Légion étrangère.
En novembre je suis parti avant le couvre-feu de vingt-deux heures
J’ai pris le train pour Munich, je suis resté dans la gare et le jour d’après je suis allé vers la zone d’occupation française vers Kehl.
Je me retrouve dans la montagne, le reste je l’ai fait à pied dans la neige, une vingtaine de kilomètres pour m’engager dans la Légion étrangère le 26 Novembre.
Affecté CP3, compagnie de passage (Gestion du personnel en transit, maintenance, logistique, transit transport, section administrative, section sanitaire.)
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1948 - L’Indochine
D’abord envoyé le 7 février en Algérie à Sidi-Bel-Abbès pour y faire ses classes, le 16 février Erwin Trum déserte pensant pouvoir quitter l’Algérie par le Maroc. Mais il est dénoncé aux gendarmes par un Arabe du coin qui l’avait repéré. Les Arabes qui dénonçaient les déserteurs de la Légion touchaient une prime en kilos de sucre ! Retour à la caserne le 23 février. Après ça, bataillon punitif et crapahut dans le désert pour remettre les idées en place.
C’est là qu’on apprend, a-t-il dit, le vrai sens.
Le 5 septembre il embarque sur le paquebot "Le Pasteur" pour l’Indochine.
Ma première impression quand je suis arrivé dans la baie d’Along en Indochine
La perspective dans la peinture chinoise, c’est vraiment ça, ça correspondait à la réalité. Autrement dit la perspective dans la peinture européenne ne pourrait pas s’appliquer, ce serait une platitude.
Dès que vous arrivez en Indochine, en Extrême-Orient, automatiquement… Je crois qu’il faut déjà être un aveugle… Mais vous voyez le paysage dans la perspective chinoise, c’est la chose qui m’est arrivée à moi.
Le paysage Indochinois est à mon avis un des plus beau du monde
La baie d’Along c’est vraiment une merveille. Aller en Indochine du nord, le Tonkin, traverser la baie d’Along pendant douze heures ou vingt-quatre heures, ça dépend du bateau que vous prenez, et rester insensible, alors là je crois qu’il faut être le dernier des abrutis.
Ma façon à moi de me faire peur
De manière inconsciente, c’est la peur de l’abrutissement. L’esprit est quand même une chose assez soumis, très vaniteux, il se contente de trois rien. Autrement dit c’est la peur de devenir d’une manière ou d’une autre gaga. Pas forcément pour des raisons de sénilité, juste que le cerveau ne fonctionne plus de manière claire, ou ne réagit plus.
Et quand j’étais en Indochine
Les trois-quarts du temps ça se passe en pleine brousse ou sur la montagne, et là le contact au niveau culturel, évidement c’est zéro. C’est vraiment la vie au premier échelon de l’humanité, très élémentaire.
Alors ce que j’avais toujours avec moi, je l’ai acheté à un autre légionnaire, un allemand pour deux quarts de pinard, c’est un vade-mecum d’électromécanique. Un résumé sur deux-cent pages format livre de poche. Tu avais toutes les formules algébriques, trigonométriques, la physique mécanique, mesures électrotechniques et cætera… Plus la table des logarithmes à la fin.
Pendant cinq ans c’était mon livre de poche
Je l’avais toujours sur moi en opérations. Quand j’étais planté sur le python au soleil, tandis que les autres se bronzaient, alors moi je faisais des calculs les plus impossibles.
Je partais d’un principe… Voilà t’as une montagne de X mètres de hauteur, tu as une source avec tel ou tel débit par seconde à telle ou telle hauteur, donc il faut faire une conduite d’eau. Alors vu la masse d’eau qui arrive plus l’accélération de la masse, donc le rajeunissement des tubes et autres, plus le renforcement parce que la pression augmente, combien d’énergie j’obtiens en sortant et puis combien de watts et de kilowatts, et puis combien d’ampoules je peux faire fonctionner et cætera… Tu vois c’est un calcul en chaine…
Uniquement pour occuper le cerveau, pour que la cervelle travaille.
Une espèce de jogging intellectuel si on peut dire, pour que l’esprit fonctionne
Aussi… Une manière grandiose de le dire
Au lieu de me faire prisonnier par l’autre côté ou de rester en tant que blessé sur la route, abandonné à toi-même, abandonné aux asticots et aux sangsues, j’avais toujours une grenade sur moi. Alors autant se flanquer en l’air.
Mais ça c’est encore un point de vue théorique parce que personne ne peut prouver que je l’aurais fait une fois arrivé. Parce qu’une fois que ça arrive il y’a quand même le moment décisif « Est-ce que tu le fais ou est-ce que tu ne le fais pas ? ». Parce que crever, c’est une chose, mais il y a toujours l’espoir aussi. Et l’espoir dans les moments fatidiques, je crois que l’homme il se…
L’espoir… c’est quelque chose de terrible.
Tout est bon pour jeter par-dessus le pont.
Ce sont deux extrêmes.
Il y a aussi une décision que j’avais prise
Quand j’étais en Indochine en opération je n’ai jamais eu un paquet de pansement sur moi. C’est déjà une superstition du soldat. Avoir un paquet de pansement, ça veut dire « Tu calcules avec l’éventualité d’une blessure ». Autrement dit si t’en as pas… Bof « Ça n’arrive qu’aux autres ».
La preuve ça a marché mais ça n’a pas marché dans tous les cas.
J’ai eu des blessures
Mais c’était des blessures par bambou et cætera. Déjà les blessures par bambou c’est assez dégueulasse parce que ça laisse des traces assez longues, c’est un peu empoisonné, ça laisse des traces sur la peau. J’en ai encore des traces sur les jambes.
Oui bien sûr il y a des regrets
Quand tu vois que ça craque autour de toi y’a des moments où tu te dis « Merde ! » Et puis t’es arrivé avec tant et tant de gars en Indochine, tu vois que tout le monde est clamsé, tu vois qu’il y a des macchabées autour de toi, et puis les rangs se vident, je me dis « Merde ! » Qu’est-ce que je fous dans ce merdier là.
Evidemment, il y’a certains regrets, ça d’accord, mais c’est un regret tout à fait symbolique parce que l’essentiel… Faut pas que je passe par le même chemin, il faut survivre, c’est ça, par tous les moyens.
C’est peut-être un paradoxe
Mais je crois que les trois-quarts de notre malaise métaphysique contemporain, c’est parce les gens ne savent pas ce que c’est la mort, ce que c’est de crever. J’ai quand même eu la chance de risquer ma peau et je m’en suis sorti vivant. J’ai vu ce qu’est la mort, je connais les gars qui sont crevés. Je sais personnellement ce qu’on ressent quand tu es en train de crever. Si vous êtes face à face avec la mort, si vous avez la chance de crever d’une minute à l’autre et vous voyez les autres qui tombent et qui crèvent à coté, votre attitude sur la vie change. Ceux qui n’ont jamais fait l’expérience de la mort immédiate ne savent pas ce qu’est la vie immédiate.
Mais finalement je ne regrette rien. Je ne sais pas si je le referais si c’était à refaire. De toute façon l’histoire ne se répète pas, alors autrement dit je serais toujours en train de rester sur la même pente.
Je crois que la valeur d’une vie ne peut pas se mesurer s’il n’y a pas le contrepoids de la mort. Il faut voir les deux en face. La vie sans perspective de mort, ou sans la menace de la mort, c’est banal, c’est fade, c’est la platitude elle-même. Une fois que tu sais qu’on est qu’au monde pour crever, le plus tard possible bien sûr, il y a déjà un grand problème philosophique qui est réglé et les problèmes existentiels en même temps. Tout le reste ce n’est que du remplissage.
Il faut crever, d’accord faut qu’on y passe, mais c’est encore un art de crever. Autrement dit l’art de crever c’est aussi un art de vivre. Et là je crois qu’il faut prendre la perspective de la mort avec une certaine hauteur, mais aussi la vie avec une certaine hauteur. Ce ne sont pas des choses qu’on survole au ras des pâquerettes, ça ne marche pas ça tu vois, on ne triche pas avec ça.
Le chevalier, la mort et le diable
Exister, c'est avoir le regard crispé sur le passé. Exister, c'est foncer devant soi avec des œillères, à l'aveuglette dans le maquis de l'impossible connaissance de la perte. Dieu te préserve de la nostalgie, Dieu te protège de la tristesse.
Mes premiers livres d'images étaient « Les cahiers mensuels du club du livre allemand » de mon père. Sachant à peine lire, je ne pouvais que les feuilleter. Les images me fascinaient ; certaines, je les contemplais, plein de questions muettes, d'autres m'attiraient sans cesse, éveillant en moi les frissons d'un sombre effroi.
Il y avait « Le chevalier, la mort et le diable » de Dürer, il y avait la « Lucrèce » de Lucas Cranach, avec sa dague sinueuse comme un serpent. Je m'imprégnais de ces images comme un buvard, mais ce qui me fascine quand je regarde une image, aujourd'hui encore, je ne saurais le dire.
Des années plus tard, j'entrais, anonyme parmi les anonymes, un simple numéro, dans la caserne de la Légion étrangère à Sidi-Bel-Abbes. Là, au-dessus du portail était écrit, en grande lettres majuscules, la devise "MARCHE OU CREVE".
Ce que dans ma candeur, j'avais pris au début pour les derniers mots peut-être d'un adjudant ivre-mort, ou, par sorte de dérision militaire, pour une variante de l'inscription de la porte de l'Enfer de Dante, se révéla plus tard, toute gesticulation mise à part, comme la vérité sans fard de Dürer :
Rien ne vaut une larme, la vie est un présent aveugle, l'avenir est sans espoir, la vanité n'est que tristesse.
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1952 - Paris
Après 5 années de Légion Erwin Trum débarque à Paris début 1953. Il habite boulevard Montparnasse puis Vincennes. Il exerce divers métiers. Peintre sur carrosserie chez Citroën, photographe de rue, aide géomètre, figurant de cinéma, barman au mess des officiers américains. Il s’intéresse à l’art, visite des galeries, des musées. Il achète ses premiers tubes de peinture, dessine et peint à ses heures perdues. Dans son dernier appartement il peint sur la porte.
A la Légion étrangère
Au point de vue de la formation à la langue Française c’était terrible. Par contre il y’en avait beaucoup qui parlaient Allemand là-dedans.
Quelques mots réglementaires pour le commandement prononcés en Français, une fois que cet apprentissage est fait le reste se faisait dans une espèce d’esperanto indescriptible, l’essentiel c’est que tout le monde comprenait. La perfection grammaticale n’était pas le but recherché. Ce n’est pas pour ça que je me suis engagé d’ailleurs.
Quand tu es à la Légion comme dans toutes les armées, tu as certaines expressions consacrées. Tu arrives là-dedans comme un bleu et tu apprends comme ça vient. Par exemple pour moi le mot « Vin » était inconnu. Il y avait peut-être quelques officiers qui disaient « Vin » par espèce de snobisme mais pour nous le vin c’était du « Pinard ». Les WC c’était les « Chiottes » carrément.
Alors le jour où j’ai été libéré, j’étais à Paris en civil, je rentre dans un café, je m’avance timidement vers le comptoir et je demande un verre de « Pinard » sans rougir. Après je vais vers la caissière « Madame où sont les chiottes ? ». Elle m’a regardé. « Mais d’où est ce qu’il sort celui-là ? ». Il y’avait tout un réapprentissage à faire.
En quelques semaines, je me suis vite rendu compte qu’il y avait quelque chose qui cloche.
J’ai recommencé lentement à écrire
Mais d’un côté je trouvais ça complétement débile d’essayer d’écrire en Français parce que ce serait impossible. Et d’un autre côté je trouvais débile aussi d’écrire en Allemand parce qu’il n’y avait pas de lecteurs.
Finalement je suis venu à la peinture. Pour s’exprimer en peinture je crois que quel que soit l’endroit où tu es, la peinture est une espèce de langage universel si on peut dire.
C’est là où je me suis acheté mes premiers tubes de couleurs
Et j’ai commencé à copier des tableaux. Enfin des trucs vachement parisien, des tableaux de femmes à la mode. C’était pas du tout expressionniste. C’était très stylisé, la femme légère, la femme parisienne, la jeune fille élancée, la poitrine bien nourrie, souvent des trucs en soierie, un chapeau… Enfin la pin-up améliorée si on peut dire.
J’ai copié ça et puis j’ai arrêté, la copie de tableaux ne m’a jamais intéressé. Puis j’ai tout foutu en l’air, c’était pas sérieux.
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1956 - Metz
Fin novembre à Paris, un officier américain propose à Erwin Trum un poste d’interprète trilingue et barman à la base américaine quartier Colin à Montigny-les-Metz. Les échanges entre officiers américains, français et allemands y sont fréquents et Erwin Trum avait le profil idéal pour faire le lien, mais aussi l’occasion de se rapprocher de sa patrie natale.
Il habite au-dessus du café-restaurant La Cascade rue du XXeme corps Américain.
C’est à la caserne Colin qu’il rencontre sa future femme, Odette. Ils auront quatre enfants.
Quand j’étais barman
Y’avait des clients. Alors et je les dessinais sur du papier de machine à écrire. Y’avait toujours un pot d’encre et la plume sur le comptoir. Je faisais ça pendant les heures creuses ou entre deux whiskys.
C’est aussi l’époque où je me suis intéressé à la philosophie Zen
Mais seulement la philosophie Zen n’était pas encore à la mode et il fallait que je me commande des bouquins à Paris. J’ai lu un bouquin de Suzuki Daisetsu sur la philosophie Zen, et là j’ai trouvé un dicton chinois que je trouve très véridique « Ce qu’un homme est à trente ans, il le sera pour le reste de sa vie ».
Autrement dit, il arrive un certain seuil d’âge où les jeux sont faits. A trente ans tu peux encore évoluer dans tous sens possibles, mais pas dans n’importe quel sens. Ton créneau, ton évolution est déjà fixée.
C’est aussi à la même époque où j’ai commencé à faire de la peinture. J’ai vraiment pris mon pied dedans et je me suis dit « Bon tu as commencé, est-ce que c’est un passe-temps ou autre chose ? ». Bon finalement il n’y’a pas de temps à perdre, il faut y aller à toute berzingue et je me suis carrément jeté dans l’eau. Vraiment… C’est ça.
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1958 - C’est là que commence réellement sa vie d’artiste
Il consacre ses nuits à la peinture, au dessin, et ceci lui restera toute sa vie. Il se mesure aux peintres qui ont marqué notre époque (Pollock, De Konning, Tobey, Wols, Michaux, Bissière, Ung-No-Lee pour la calligraphie) mais très vite ce sont les transparences qu’il recherche. Des gouaches sur des papiers très solides qu’il passe sous l’eau courante pour délaver et retravailler sur le fond.
Des années plus tard il commentera sa technique ainsi :
D’abord il faut de la matière première
Je commence de l’opaque vers le fluide, je reviens à l’opaque, je reviens au fluide… C’est un éternel va et vient entre l’opaque et le fluide, entre le solide et la transparence. Plus j’avance plus je m’enfonce dans la matière.
Mais ce n’est pas seulement une technique en peinture, ça correspond aussi à un comportement moral dans la vie, ou comportement philosophique.
Le peintre finalement ne réagit pas différemment qu’un enfant qui vient au monde.
Il ouvre lentement ses yeux, et puis la première chose qu’il peut discerner c’est le visage de ses parents aux alentours de son lit. Il voit les murs de sa chambre, la fenêtre et cætera… Et petit à petit il ouvre les yeux vers l’espace, l’espace devient plus précis et il s’agrandit en même temps. Je crois que l’évolution d’un peintre c’est exactement la même chose. Il a envie de faire quelque chose, il dessine ça et ça et ça, mais en partant de ça il découvre autre chose. Et même en faisant uniquement du dessin d’un seul objet en commençant peut-être d’une manière simple, compliquée ou sophistiquée, tu trouves toujours une manière d’approfondir ta technique, l’approche du sujet. C’est comme en mathématique, tu as une formule qui te permet l’accès à telle ou telle explication, mais pas une autre. Alors tu fluides ta formule mathématique jusqu’à ce qu’elle devienne plus cohérente avec des applications de plus en plus larges. Ou même dans les lois physiques, c’est la même chose.
Il m’arrive assez souvent où je fais carrément le tour du cadrant
J’aime bien travailler dans le calme. La vie a ses bruits à elle, la nuit est calme. La nuit je ne gêne personne, personne ne me gêne. Tandis que le jour je suis bien trop avide de la vie pour rester enfermer chez moi. Il faut que je sorte quand la vie se présente, quand elle est là, il faut qu’on participe.
Quand on commence à peindre, ou quand on s’intéresse à la peinture
Même si on ne fait pas de peinture c’est la même chose. On a toujours quelques peintres préférés dès le début même si on ne comprend pas la peinture. J’aimais bien quelques impressionnistes, mais ce que c’était un impressionniste, ce que ça voulait dire exactement je m’en foutais royalement.
Il y a juste quelques tableaux de Monet, Manet, Renoir (un peu moins) qui m’attiraient, aussi Pissarro et Sisley tu vois à peu près. Alors c’était les jeux de lumières, toutes ces subtilités qui sont là-dedans. Tu as un espace mais en même temps ce n’est pas un espace, ce sont des paysages limpides, tout est transparence et c’est ça qui m’attirait.
L’attirance pour le Moyen-Age, la peinture du Quattrocento, c’est venu beaucoup plus tard.
J’ai commencé à faire de la peinture à peu près à l’âge de trente ans
Et je me suis posé la question : Admettons, tu te retrouves seul comme un yéti dans l’Himalaya, sans contact, seul, est-ce que tu fais encore de la peinture tout seul pour toi ?
Résultat, pour moi la peinture, comme tout art, c’est tout de même un moyen de communication. C’est peut-être une communication assez solitaire, mais tout de même, si un art ne peut pas s’inscrire en tant que dialogue avec l’invisible (Un public), l’art n’existe pas.
Au début quand je faisais de la peinture
Je la cachais soigneusement parce que je n’étais pas sûr ; Est-ce que c’est bon ou pas bon ? Si tu n’as aucun critère n’est-ce pas, tu ne sais pas ce tu fais… Presque irresponsable.
Mes premiers tableaux gestuels
A l’huile ou autres ce n’était pas un espace d’éclatement de la réalité comme Pollock le fait, pour moi c’était plutôt « Tu es là allongé dans l’herbe, tu regardes en bas et sous l’herbe tu vois toutes sortes de fourmillements, la terre se découvre et tu vois toute une géologie qui se dévoile, tu vois toute une botanique et une faune, micro faune, des insectes, des fourmis… ».
C’est un espace microscopique que tu as presque devant les yeux à dix ou quinze centimètres mais que je voulais en grand. Je voulais quand on regarde le tableau qu’on voit qu’il y a encore quelque chose en dessous, qui bouge ou je ne sais pas quoi, mais qu’il y a quelque chose qui pourrait sortir.
On ne serait pas surpris sur mes tableaux de l’époque qu’il se promène des insectes, des mille-pattes, des fourmis des mouches ou toutes sortes de choses. Ça fait partie du tableau.
En 1961 j’ai vu une fois une exposition de Wols
C’était à Paris dans une galerie rue de Seine où il était exposé. Et là quand j’ai vu ses trucs à lui j’ai vraiment pris le pied. C’était vraiment la peinture qui me convenait. Au point de vue sensibilité c’était quand même très riche, très fin en même temps, dépouillé.
Les premiers portraits que j’ai faits
C’est des portraits sur reproduction. Hemingway, Ezra Pound des trucs comme ça. Utrillo faisait bien ses paysages d’après cartes postales, alors il n’y’a pas de raison que je ne fasse pas le portrait d’Hemingway d’après une photo de journal. C’était des photos minuscules en noir et blanc sur un journal que j’ai agrandies.
A l’époque je m’intéressais beaucoup à la calligraphie
En 1965 j'étais à Paris. Il s’ouvrait une école calligraphique avec un peintre Coréen qui s’appelle Ung-No Lee. Je lui ai montré ce je fais, il trouvait ça intéressant et puis on est restés en correspondance quelques temps.
Et un jour il y a une espèce de commando mystérieux qui a débarqué à Paris et il y’a pas mal de Coréens qui ont disparu, qui ont été ramenés à leur patrie d’origine la Corée, sans doute avec quelques interventions d’ambassadeurs et cætera. Je crois qu’il est revenu après.
Evidement pour n’importe quel jeune peintre Paris c’est le terminus.
Alors tu fonces
1960 - Exposition - Groupement des artistes Mosellan - Metz
1961 - Exposition - Salon des indépendants - Paris
1964 - Exposition - Salon des sur indépendants - Paris
1965 - Exposition - Musée Saint Denis - Paris
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1965 - Journaliste
Une petite annonce change sa vie
L'édition bilingue du Républicain Lorrain cherche un correcteur. Il entre à "France-Journal". Deux ans plus tard, il devient rédacteur au service Politique.
Journaliste le jour, peintre la nuit
Paul Benz - Rédacteur en chef du Républicain Lorrain
Je t’ai connu, je t’ai apprécié parce que ton esprit dépassait tous nos travaux quotidiens. Ton œuvre m’enthousiasme et me plonge dans les mystères du monde et de nos âmes. Je t’en remercie, cher et inoubliable Erwin Trum.
Paul Benz - 2005
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1966 - Changement d’orientation
Il se consacre à la linogravure et à la réalisation de tapisseries tissus et laine qui s’apparentent au patchwork et à l’art brut. Les tapisseries sont élaborées au milieu du salon qui tient lieu d’atelier. Les éléments en laine, crochetés ou tricotés sont réalisés par ses enfants, notamment ses filles…
Je suis venu à une technique complétement opposée, la linogravure
Toute chose enlevée est définitivement enlevée, pour revenir à la forme, aux choses solides pour réapprendre, parce que tout était devenu trop aérien, ça se dissipait. Il y avait une espèce de vide au point de vue créativité.
1968 - Exposition - Anciennes Arcades Faber - Metz
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1969 - Rupture avec la peinture
"Je me suis arrêté de peindre pour écrire". Est-ce le glissement professionnel vers l'écrit qui l'a influencé ? Ou bien Mai 68 et ses turbulences qui ont jeté la peinture "traditionnelle" dans les "poubelles de l'histoire" ? De même que la famille avait déménagé aux Sablières, tout au bout de la ville, de même le peintre était arrivé au bout d'une recherche, insatisfait de son travail. Sa peinture était belle, elle avait de l'allure, mais ce n'était pas "sa peinture".
Il a expliqué, des années plus tard : "Il me restait à évacuer ce que j'avais appris. C’était un désapprentissage de la peinture". Il a jeté l'essentiel de son œuvre. A la poubelle, dit-il. Il s'est lancé dans l'écriture. « Les hiéroglyphes, c'est comme si tu dessinais des mots ; alors, j'ai simplement supprimé les hiéroglyphes et j'ai fait des mots ».
Les maîtres chinois auraient dit "Pendant cinq ans tu méditeras".
Il y a eu un doute sur moi
On se pose la question sur la raison et la finalité de l’art. Et puis ce sont aussi tous les changements de l’époque qui l’on voulut. Il y a eu une évolution assez radicale sur la scène parisienne déjà avant 68. Il y avait ce qu’on appelle le nouveau réalisme, ou le réalisme… Pfffff… politique qui est plus ou moins vu avec l’afflux de peintres Ibériques, d’Amérique du Sud et des pays où il y a de la dictature. C’était devenu radical.
C’est pas tellement le mai soixante-huit, ça m’a pas tellement touché. Mais toute cette évolution de la société dans le temps et en même temps l’évolution de l’art. Y’a une espèce de théorisme qui s’est installé.
Alors j’ai coupé carrément le pont avec tout le monde.
Il lit beaucoup et acquiert une machine à écrire sur laquelle il créera plusieurs recueils de poèmes en Allemand, Windrose, Schnulzenbrot, Banaltag, Fingerhüte, Nachtschaffen. Un silence peuplé de poèmes, de réflexions, de lectures, d'articles, d'amitiés, notamment avec le poète Jean Vodaine. Mais, l'éditeur allemand auquel il envoie ses écrits, les refuse.
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1974 - Retour aux pinceaux
Lors d’un voyage à Paris, Erwin Trum est allé voir au Grand Palais, des miniatures indiennes, turques, médiévales et des icones russes. Magnificence et enchantement, contempler cette perfection…
Comme je ne pouvais pas m’acheter des choses pareilles
Il ne restait plus qu’à m’y mettre moi-même. J’ai repris la peinture, mais c’était l’art en temps que plaisir privé.
Si j'ai repris la peinture
C'est parce que c'était la seule aspirine qui me faisait de l'effet. Sinon, je serais devenu conformiste, je serais tombé dans la banalité et la platitude. J'aurais fini comme un beauf. L'art permet de garder les distances.
Avec ce second souffle, c'est une nouvelle errance qui recommence dans les nuits de Metz. Un atelier rue Vigne Saint-Avold, dans un immeuble délabré. Des amis peintres, Roger Decaux, Christian Bizeul et le groupe Divergence. Une exposition avec Christian Bizeul chez l'antiquaire de la Chaise-Dieu, rue des Allemands.
Gérald Collot, le conservateur des musées de Metz, achète des oeuvres pour le musée, et, peintre lui-même, conseille à Erwin d'essayer la peinture à l'oeuf qui donne de la profondeur.
Pendant 3 années il étudie la manière des maîtres anciens de la tempera à l’œuf qui permet de travailler les pigments et les transparences.
Il perfectionnera cette technique sur l’ensemble de sa future production et n’utilise aucun produits issus de l’industrie chimique.
Quand je suis revenu à la peinture
Peut-être que faire de la peinture c’est comme si on pissait contre le mur, bon alors dans ce cas-là pissons au moins bien… Laissons pisser quoi tu vois. Et puis j’ai recommencé à faire de la peinture et je m’en foutais complétement du reste.
Tout ce que j’avais fait jusqu’à présent je m’en suis complétement désintéressé, ça n’existe plus. C’est une époque révolue. Je ne la reniais pas, elle fait quand même partie de mon évolution, mais pour moi je faisais un trait en dessous de tout. Je faisais un trait intellectuellement avec mon environnement, avec le vingtième siècle. Tous ses problèmes plus ou moins philosophiques, moral ou social ça me désintéressait complétement, pour moi c’était… Pfffff… Des cacahuètes, juste pour faire rire les foules.
Autrement dit j’ai jeté tout hors-bord. S’il faut déjà ramer, ramons tout seul, on verra bien jusqu’où on arrive.
1977 - Exposition - La Chaise Dieu - Metz
1977 - Exposition - Drac - Metz
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1978 - Période terre
Un matin de la fin février, il entend un gargouillement dans la cuisine : c'est le dégel et l'eau dégouline du plafond fissuré. On met les tableaux à l'abri, on met des seaux... L'atelier suivant sera rue Mangin, au carrefour du XXe Corps américain... Tiens ! Trois pièces mansardées dans un immeuble qui se vide.
C'est là, peignant pour rien, pour lui-même, qu'il devient "Trum". Le peintre qui émerge du silence est profondément authentique et profondément original. Avant sa crise, il avait de la patte, du talent, une force. Maintenant, sa peinture est toute différente. Abstraite, lyrique, philosophique, religieuse, compacte, tout ce qu'on veut. Mais par-dessus tout, elle a une âme.
Trois ans plus tard, Erwin sera le dernier occupant. Mais sa peinture a encore grandi. Sa première grande exposition individuelle sera à l’abbaye des Prémontrés, à Pont-à-Mousson, à l'invitation de Jacques Thiériot, le directeur.
Un des premiers dans ce style-là
C’est au moment je suis rentré dans mon atelier rue Mangin. Finalement toute ma peinture a vraiment commencé là-bas. Tout ce que j’ai fait dans mes autres ateliers… Pffff… Presque tout a été dans la poubelle. J’en ai conservé quelques-uns à titre de curiosité pour voir les conneries qu’on peut faire, et puis c’est tout.
On ne peut pas dire voilà « Maintenant je fais de la peinture », c’est un non-sens
C’est comme si je disais « Maintenant je vais faire de la musique, ou maintenant je vais faire de la danse acrobatique ou autres n’est-ce pas ». D’abord il faut savoir si on est capable de le faire ou non. Autrement dit il y a une espèce d’attrait, si on est capable ou si on n’est pas capable c’est encore autre chose.
Et encore être capable ça veut dire quoi ? Selon quels critères ? Alors tu es soumis à toutes sortes d’influences, toutes sortes d’attirances, tu es soumis aux jugements des autres. Autrement dit il y a un décrottage à faire avec toi-même.
Avant que tu te trouves toi-même dans la peinture, avant que tu trouves ton style comme on dit « Le style c’est l’homme », il faut délester tout le bagage, jeter hors de bord et puis rester seul, nager seul, et si on se noie on se noie tout seul. C’est à ses risques et périls.
Les teintes qui sont placées en premier chez moi
Ce sont toujours en principe les couleurs terre. Les ocres, le brun, quelques rouges mais très peu au début. Les verts, le vert transparent, le vert végétal, et puis quelques bleus. C’est aussi peut-être parce ce que l’Autriche me rappelle ces couleurs.
Faire de la peinture, je ne pourrais pas dire que c’était une inquiétude
Parce que de toute façon je savais que la peinture c’est un truc qui sur le plan de la vie matérielle ne mènera nulle part, la peinture ne nourrit pas son homme. Je suis déjà parti là-dessus et je suis aussi toujours parti du principe "Le fait qu’on pourrait vendre une peinture ça ne prouve pas que ce soit forcément de la bonne peinture même si ça se vend".
Ensuite, il faut aussi se mettre dans le système. Le système de la peinture est quand même soumis à certaines lois du marché, à certaines contraintes, et les artistes qui rentrent dans ces contraintes abdiquent un peu dans la personnalité.
Il y’a quand même le piège à ne pas être tranquille dans sa façon de peindre.
1979 - Exposition - IRA - Metz
1980 - Exposition - Abbaye des Prémontrés - Pont à Mousson
1980 - Exposition - Art Actuel Mazarine - Nancy
1980 - Exposition Galerie Divergence - Metz.
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1981 - Rue Chatillon
A l'automne 1981, il trouve enfin un atelier-appartement suffisamment vaste pour abriter ses tableaux, livres et disques, rue Châtillon, derrière la place de la République. Pour la première fois, il peint et vit sur place. Il reçoit des amis, de plus en plus nombreux. Le peintre solitaire devient un personnage, un peintre reconnu, estimé. Par l'intermédiaire de son ami Roger Wiltz qui veut faire un film sur lui, il rencontre le cinéaste Bernard Bloch qui, en définitive, réalisera le film "Monsieur TRUM" l'année suivante.
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1982 - Tournage du film « Monsieur Trum »
Il y a un an et demi, je rencontrais à Metz le peintre Erwin Trum par l’intermédiaire de Roger Wiltz, journaliste au Républicain Lorrain. Cette rencontre surprenante d’un homme et de sa peinture se déroula de nuit dans son ancien atelier de la rue Mangin.
Il était situé au dernier étage d’un immeuble du début de siècle. On y accédait par une sorte d’aitichambre qui ouvrait sur une enfilade de pièces mansardées Rien ne distinguait les pièces les unes des autres, si ce n’est quelques meubles, qui établissaient un semblant d’ordre et de fonction. Le coin cuisine et repas, celui du repos avec un matelas posé par terre : Pour le reste , tout semblait envahi par les peintures, une multitude de peintures acrochées ou en cours d’achévement, posées sur des tables ou adossées aux murs.
Il y avait l’odeur du vernis, la haute stature d’Erwin, campée au milieux de ses toiles, de ses innombrables panneaux de toutes tailles qui brillaient dans les épaisseurs transparentes de leurs couleurs terriennes.
Au delà du choc, ce fut une adhésion quasi immédiate à cette peinture, à cette vie, à ce fourmillement, où se reconnaissent les lignes de forces qui trament un style.
Bernard Bloch - Cinéaste - 1982
En octobre il rencontre à l'occasion du tournage, Michèle Oneto qui allait devenir, l'année suivante, sa compagne jusqu'à sa mort.
1981 - Exposition - Palais des Congrès - Nancy.
1982 - Exposition - Médiathèque - Metz
1982 - Tournage du film Monsieur Trum
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1983 - Période rouge
Sa peinture devient plus ample, moins compacte. Les couleurs restent vives. Avec Michele, sa vie devient plus stable, plus régulière bien que très fatigante, puisqu'il travaille toujours comme journaliste le jour et peint la nuit. Il travaille énormément et il se produit une mutation, une véritable explosion dans sa peinture : un moment fécond qui se poursuit jusqu'en 1989, date de sa mise à la retraite et de son départ dans le Midi où une nouvelle aventure picturale l'attend.
Je commence toujours par des couleurs très vives et très pures en même temps
Après j’enlève ce qu’il y a en trop par des subtilités, je creuse l’espace, je creuse le fond, je recherche la matière. D’abord il faut de la matière première et ensuite tu cisèles, du plus gros au plus petit et de plus en plus fin.
Je crois qu’un titre ça ne sert à rien. Je n’ai aucune conception littéraire de la peinture
Quand je fais de la peinture, je ne pense pas du tout à un thème ou quelque chose. Je vois un espace, je vois la lumière, je vois quelques formes qui se détachent et puis le tableau part de là jusqu’au final.
En peinture, je n’ai jamais fait de recherches rationnelles ou poussées dans la perspective
La perspective, ça reste pour moi un terrain d’application en géométrie analytique dans le dessin technique, et puis ça s’arrête là.
Pour la peinture du vingtième siècle je crois que c’est une donnée qui est complétement à côté de la plaque, qui ne se pose plus parce que l’œil voit déjà différemment. On est plus dans l’œil géométrisant des siècles du passé.
Il faut voir le mot « Perspective » dans le sens le plus profond
Il y a la perspective en terme géométrique, mais aussi en terme philosophique, en terme moral ou en termes d’avenir
Dans la mesure ou le Moyen Age a découvert la perspective, a élaboré la perspective, il s’est lui-même positionné sur un certain point et il voyait le monde d’une certaine façon, dans un cadre plus ou moins rigide, dans un cadre très fixe. C’était très rassurant.
Mais si tu prends toutes les angoisses qui sont nées à partir du dix-neuvième siècle et les incertitudes métaphysiques du vingtième siècle, ça vient aussi du fait que nous sommes dans une société pluri-perspectives, il y a plusieurs perspectives. Ça veut dire qu’il n’y en a aucune qui est fixe. Autrement dit il n’y a plus de perspectives philosophiques morale pour la vie même.
Tu n’es plus dans un cadre fixe, tu vis dans un cadre mouvant de la vie, les choses changent d’un jour à l’autre, c’est une insécurité de jour à jour.
Sur le plan géométrique en peinture
Tu vois qu’il y a toujours un lien entre l’esprit d’une époque, les malaises d’une époque, ses assurances métaphysiques ou ses incertitudes qu’elle a sur le plan philosophique, mais qui sont aussi repérés sur le plan scientifique. Il y a toujours un lien entre les deux.
Je crois que le grand événement du XXéme siècle
C’est le mariage entre le rationnel et la métaphysique. Comme disait André Malraux, le XXIéme siècle sera spirituel ou ne sera pas. Déjà aujourd’hui, depuis des années, il y a une certaine résurgence de toutes sortes de sectes.
En tout cas, ce qui est incontestable c’est nos jeunes qui n’ont eu aucune formation plus ou moins philosophique ou religieuse encore moins, il y a quand même une soif métaphysique incontestable.
Ça se remarque sur tous les bords
Même au niveau de la jeune délinquance, si on gratte un peu sur le vernis, il y’a une soif métaphysique qui se cache derrière.
Et ce qui m’a toujours frappé dans ma peinture, les premiers qui l’ont admirée, c’était tous des jeunes. Chez les êtres à partir de trente ou quarante ans, ma peinture les laissaient complétement indifférents. Mais vraiment les jeunes étaient extasiés. Je n’exagère rien, ce sont des jeunes à partir de vingt / vingt-cinq ans.
Et pour moi, quand je faisais ma peinture, ce n’était pas du tout dans l’esprit pour porter un message. Je me trouvais complétement idiot, ce n’est pas dans ma nature, je n’ai pas l’air d’un prophète, d’un curé ou autre chose. Le mot « Message » déjà ça me met en boule, rien que d’en parler. Message ?... Quoi ?...
Mais quand même dans tous les jeunes, il y a un phénomène qui m’a frappé.
Autrement dit un changement a eu lieu
La perception des jeunes aujourd’hui est complétement différente de la perception des adultes. Ils sont peut-être aussi paumés que les adultes dans le monde actuel, mais sur un degré différent. La perception, les solutions qu’ils cherchent ne sont plus celles que cherchent des adultes. Il y’a un passé, c’est fini, il y a des voies nouvelles.
1985 - Aventure du vitrail contemporain
Avec Bernard Briançon, artisan fabricant de vitraux, permettant une approche de l'art du vitrail par les peintres.
Se retrouvent Adam, Auburtin, Bizeul, Roger et Marc Decaux, Guermann, Scholtès et Erwin Trum, avec l'aide du maître-artisan.
1985 - Tournage d'un second film de Bernard Bloch
"Le Banquet ou Portrait d'un territoire avec artistes" sur les artistes lorrains. Tourné dans le théâtre d'Epinal avec les artistes, des conservateurs de musée, des responsables artistiques, et des collectionneurs.
Se retrouvent les artistes Anheim, Bizeul, Decaux, Gardenne, Guermann, Meiers, Scholtes, Simon, Tirel, Vivin et Erwin Trum.
1986 - Michèle, sa compagne, achète la « maison de l'abbesse » du couvent des Ursulines, datant du 16ème siècle, à Tarascon, en Provence. De nombreux voyages dans le Midi pour restaurer le couvent et installer un grand atelier.
1983 - Exposition de groupe dans le cadre des Rencontres Internationales de Musique Contemporaine - Metz.
1984 - Acquisition FRAC Lorraine
1985 - Tournage du film « Portrait d'un territoire avec artistes »
1985 - Exposition - Musée des Beaux-arts - Nancy
1985 - Exposition - Galerie Lillebonne - Nancy
1986 - Exposition - DRAC - Metz
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1987 - Période bleue
Son style s’épure, s’affine, plus élégant, suggérant des ambiances de la renaissance. Les bleus sont omniprésents.
Le bleu quand on fait de la peinture à l’œuf c’est la couleur la plus difficile à travailler
Il y a des bleus très forts et très couvrants genre bleu de Prusse, c’est un bleu à la base d’un acide qui est très enveloppant. Et puis les autres bleus, par exemple outremer, ce sont de très bons bleus mais ils sont très légers au point de vue de la qualité chimique et aussi physique si on peut dire.
Evidement, il y a des autres bleus qui sont plus ou moins compacts comme celui-ci, mais ils ont l’inconvénient d’être trop opaques, c’est-à-dire on travaille mais au détriment de la transparence.
Phénomène étrange que la peinture d’Erwin Trum.
La matière en est délicate et solide à la fois, obtenue par de longs préparatifs, comme si le peintre avait retrouvé le secret des maîtres allemands, flamands, italiens du Quattrocento. C’est avec étonnement que nous y constatons l’absence d’anecdotes voire de figuration. Alertés, vite prêts à nous laisser séduire par le raffinement de la palette, nous sommes entraînés par le jeu des mille touches de couleurs précieuses, comme si quelques musiques se levaient pour nous et, emportant notre imagination, lui donnait l’humeur vagabonde.
Et voici que, complice, elle retrouve sans étonnement l’univers poétique des peintres que nous aimons. Voici la fête colorée des chasses princières de Cranach, l’éblouissement de la Bataille d’Alexandre d’Altdorfer, la construction des batailles d’Uccello, le recueillement des crucifixions de Mantegna, les limpidités des aquarelles de Dürer, la dramaturgie fantastique de Magnasco, le fascinant ballet de formes et de couleurs de Bosch ou de Dali, l’inquiétant théâtre maniériste de Monsù Desiderio, les fraîcheurs de Brueghel.
C’est sans doute parce qu’elle sait ainsi, sans jamais faire preuve d’arrogance ou de pédantisme, sans faux pas, solliciter, par les plaisirs de notre œil, notre mémoire, lier naturellement notre culture à notre sensibilité que la peinture d’Erwin Trum nous satisfait.
Henri Claude - Historien et professeur d’histoire de l’art - Ecrivain
Lors d’une exposition à Nogent sur Marne en 2005
Jean-Luc Chalumeau, historien de l’art, outre les références à la renaissance, y voit aussi une écriture, une forme d’écriture, son écriture. Il écrira : Erwin TRUM est à l’évidence un grand artiste : celui qui sait unir une technique irréprochable et neuve à une imagination qui ne connaît pas de limites.
La physique et la chimie des couleurs, des médiums, sont en peinture ce que la grammaire, la syntaxe et le lexique sont à la littérature.
Je préfère travailler sur des œuvres de petites tailles qui permettent une plus grande concentration sur le détail, d’une façon un peu hypnotique.
J’essaie d’être simple dans mon expression
Je ne vais pas faire une peinture qui nécessite un discours d’introduction explicatif parce que pour moi ce n’est plus de la peinture, sinon je fais un mode d’emploi pour le spectateur éventuel qu’il n’a plus qu’à déplier.
L’œil de Christian Bizeul
Toute l’œuvre d’Erwin Trum est unique, singulière je n'en connais pas de précédent. Fondamentalement intemporelle, universelle, elle se situe à la fois aux origines mais est également inscrite pour la fin des temps, lorsque le « UN » se sera retrouvé, réconcilié.
Cependant, bien que parfaitement identifiable, il est possible d’y déceler des sources, d’y voir des influences, des affinités diverses.
Il me semble toutefois que presque l’intégralité de son œuvre est empreinte de l’esprit baroque, ce qui au regard des origines de l’artiste n'a rien de surprenant. D’autres proximités sont également perceptibles. Enluminures médiévales, hiératisme byzantin, visions oniriques proprement germaniques, foisonnement expressif et sensualité flamande. (Grünwald, Altdorfer, Bruegel, Bosch, Rubens). Baroque parce que sa peinture, comme ses dessins, ont des propensions à se propager, à s'enfler, soumis à une densité, une profusion propre à cette forme d’expression.
Œuvres éclatées, ouvertes, qui ignorent les
limites du support. Absence de centre. Gothique également par ses couleurs
flamboyantes, ses poussées verticales, ses ciels indigo, ses paysages auréolés,
mordorés, nimbés d’arc-en-ciel que l’on voit souvent dans les compositions du
gothique flamboyant rhénan.
Je n’aime ni les idées préconçues ni un dessin préconçu
Je me crée des matériaux de base et après je travaille dessus, en partant de l’aléatoire je reviens au concret, j’utilise le matériel disponible dans un sens ou dans l’autre.
Je n’aime pas les opinions trop nettes, trop affirmatives et sûres d’elles même
Alors la ligne franche "Le dessin bien campé" comme on dit dans les écoles ou les académies, je trouve ça complétement débile comme expression, un dessin bien campé ça veut dire quoi ? Ça satisfait peut-être quelques règles esthétiques et cætera qui sont fixées une fois pour toutes, mais je dis que rien n’est fixé une fois pour toutes.
Toutes les règles esthétiques évoluent comme évolue l’homme et en même temps sa conception de l’espace. Il n’y a pas que l’objet que je dessine, il y a aussi l’environnement de l’espace dont l’objet fait partie.
Alors le fond neutre dans un dessin ou une peinture ça ne m’a jamais intéressé parce que pour moi c’est un espace perdu, c’est trop limitatif si on peut dire.
1988 - Exposition "French Artists in America"
Avec Marc et Roger Decaux, Franck Hommage, J.Koskowitz, Claude Prouvé, Jean-Charles Taillandier et Erwin Trum, au musée de l'université d'Indiana avec conférences et réception chaleureuse de l'université d'Indiana. Erwin Trum se lie d'amitié avec plusieurs peintres américains, en particulier Chuck Olson et Ned Wert.
Le FRAC Lorraine, poursuivant sa politique d'acquisition
commande une oeuvre à Erwin TRUM pour la réalisation d'une tapisserie. Le tissage de cette tapisserie de dimension imposante (4,50x 3,00) nécessitera une année de travail à Aubusson par les lissiers de "Aubusson International Tapisserie" de Jacques Fadat. Pendant cette année, Erwin y effectue de nombreux séjours pour superviser son avancement. Il se liera d'amitié avec Lionel Rousset, le lissier qui a tissé sa tapisserie avec une grande maîtrise des difficultés imposées par l'oeuvre d'Erwin TRUM. Ce fut une vraie collaboration, une amitié entre le peintre et le lissier
1989 - Des allers et retours fréquents à Tarascon
Pour suivre les travaux de restauration du couvent. Erwin assiste au tournage du film "1789" de Robert Enrico dans le château de Tarascon. L'animation provoquée par ce tournage autour du château donne au conseiller culturel l'idée de faire une exposition Erwin TRUM dans ce lieu privilégié.
Le 18 décembre
La grande tapisserie est installée dans l'escalier d'honneur de l'Hôtel de Région à Metz en présence de Jean-Marie Rausch - Président de la région Lorraine et maire de Metz et d'André Tavernier Président du conseil d'administration du FRAC Lorraine.
Cette tapisserie est encore aujourd'hui visible à l'hôtel de région de Metz.
1988 - Le FRAC commande une tapisserie monumentale à Erwin Trum
1988 - Exposition - Galerie Jean Camion - Paris
1988 - INDIANA (USA) - French Artists in America
1988 - Exposition - Cloître des cordeliers - Tarascon
1988 - Exposition - Galerie J - Saint Dié
1989 - Installation et vernissage de la grande tapisserie à Hôtel de Région - Metz
1989 - Exposition - Galerie Lillebonne - Nancy
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1990 - Période Tarascon
Déménagement de Metz et installation à Tarascon dans le couvent non fini, où seul l'atelier est (presque) habitable. Une année d'installation sans exposition prévue. Il reçoit, pour l’ensemble de son œuvre, le prix artistique Galilée, décerné par l'Académie de Stanislas à Nancy.
Pendant une année
Il travaille à la production d’une centaine d’œuvres en vue de la grande expo prévue au château de Tarascon l’année suivante. Certains de formats assez grands, notamment deux triptyques.
Pour moi un critère de l’art
C’est que tout le monde se retrouve dedans. Que les frontières linguistiques, intellectuelles soient abolies. Un langage universel, pas une espèce d’esperanto, mais vraiment aller vers ce qu’il y a de plus profond chez l’Homme. Et je crois que le plus profond chez l’Homme, paradoxalement c’est toujours la religion. Même si on le renie, elle est là. C’est l’Homme devant la grande inconnue, devant la grande menace, sa nudité extrême devant la mort.
Je cherche plutôt une approche par les sensations
Une espèce de sensation devant la réalité, réalité dans le sens « C’est la grande inconnue ». Qu’est-ce que la réalité finalement ? Autrement dit il faut dépasser le portrait, dépasser la réalité photographiable pour aller au fond de la chose, dans la vie de la chose, dans le sens même de la vie.
Il y a des plans verticaux mais aussi des structures horizontales
On trouve toujours des paysages superposés mais ce sont des paysages qui sont vus en vol d’oiseau. C’est presque une perspective chinoise, une perspective naturelle qui n’est pas géométrique.
Je n’use jamais du blanc
Je reste sur le blanc du fond. Des fois c’est le fond qui demande plus de travail et de temps que le tableau lui-même. C’est espacé dans le temps, il faut poncer, il faut une couche d’apprêt, il faut laisser sécher, re-poncer et cætera.
Par exemple avec toute la période de séchage, l’impression du fond, ce tableau en préparation du panneau m’a pris à peu près une dizaine de jours. Evidemment je travaille aussi entre temps, mais le tableau lui-même a été fait en deux jours.
Une autre couleur qu’Erwin Trum n’utilise pas : Le noir !
On pourrait dire « L’antithèse de Pierre Soulage ». Ce qui n’exclue pas qu’ils auraient pu avoir quelques conversations enrichissantes.
Je crois à l’homme global
Et la peinture n’est qu’une activité parmi d’autres. C’est pour ça que je n’ai jamais considéré la peinture autrement qu’en dehors d’un autre métier, il faut un métier de base, garder le lien avec la vie, le lien avec la réalité.
Il faut quand même dire une chose :
Mes tableaux sont couverts de A jusqu’à Z. Il y’a une multitude de choses là-dedans. Autrement dit, pourquoi se consacrer uniquement sur un seul objet, un seul sujet, un seul point au détriment de tout le reste ? Ou bien pourquoi dans la vie je me concentrerais sur tel ou tel problème et pas le reste ?... Parce que la vie finalement… C’est une multitude de choses, qui mutuellement n’ont pas forcément d’influence l’une sur l’autre mais qui sont quand même là.
La vie c’est le vrai océan des choses, c’est inondé de problèmes. C’est comme le système planétaire qui nous tourne autour, la vie est pleine d’étoiles.
Toutes les scènes dans mes tableaux, tu peux disséquer, finalement ce n’est que ça. Ça rappelle peut-être des scènes comme dans les peintures médiévales, mais seulement la structure est différente, il y a beaucoup plus d’interpénétrations.
Je crois que dans la vie les choses ne sont pas tellement séparables entre elles comme on peut le croire. On peut être spécialiste dans tel ou tel domaine, mais il y’a toujours une globalité de la chose. Un homme n’est jamais seul sur terre, une société n’est jamais seule sur terre, tout est englobé dans un ensemble. Il peut y avoir une évolution différente à l’intérieur d’un système, mais ça correspond toujours à une logique générale.
On n’échappe pas à la logique suprême, même si on l’ignore. Même si aujourd’hui on peut bien se passer du bon Dieu, on voit bien qu’il y a une logique suprême dans tout être. Seulement aujourd’hui cette démarche se fait d’une manière beaucoup plus scientifique.
Et paradoxalement, la science moderne, les mathématiques modernes, ça ouvre une frange de la métaphysique qu’on a complétement oublié.
Ce qu’en pense le public
Finalement, je m’en fous à la rigueur. Ce qu’il y a, c’est cette vérité qui existe entre le tableau et moi. Autrement dit, là il n’y a pas de tricherie. Tous les éléments d’influences extérieures sont éliminés.
1991 - Exposition au château de Tarascon
Sûrement la plus belle qu'il ait faite, tant par le cadre magnifique du château que par la qualité de ses dernières peintures. Equilibre parfait de l'architecture et de la peinture.
Des triptyques sont composés pour le lieu même de l'exposition, en particulier celui installé sur l'autel de la chapelle, destiné à remplacer (le temps de l'exposition) le tableau de l'époque du roi René, à la demande de Mme Aillaud, maire de Tarascon.
Un grand nombre d’œuvres produites pour cette occasion sont acquises.
1992 - Exposition à la Galerie de Fontvieille
Où il exposera par la suite de nombreuses fois. Il se lie alors d’amitié avec le groupe d'artistes, peintres, graveurs, sculpteurs, qui gravitent autour de la Galerie de Fontvieille de Clothilde Gadler.
Peinture - Peinture - Peinture - Travail intense - Années euphoriques. Ses amis viennent de Lorraine, d'Alsace, d'Allemagne, de Paris, des Etats-Unis. Ce sont les années « rosé de Provence » et « marc de Gewurtz » où le vin coule à flot comme l'amitié.
1990 - Prix artistique Galilée, décerné à Erwin Trum pour l’ensemble de son œuvre par l'Académie de Stanislas à Nancy
1991 - Exposition - Château de Tarascon - Tarascon
1992 - Exposition - Galerie Dany Simon - Toulouse
1992 - Exposition - Galerie de Fontvieille - Fontvieille
1992 - Exposition - Galerie Espace Suisse - Strasbourg
1992 - Exposition - Galerie Angle - Saint Paul trois châteaux
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1993 - Période Les Portraits
Il entame sur trois années sa série des "Tronches", ainsi qu’il les a appelées lui-même. Ce sont des portraits d’hommes et de femmes, princes, évêques ou rois, en costumes anciens, chamarrés, couverts d’or et de décoration.
Mais ce sont aussi des figures de carnaval sous le masque dérisoire d’hommes de pouvoir. Les couleurs sont somptueuses, mais le message est féroce et désespéré. Depuis 1991, il est très préoccupé et effrayé par les événements de Bosnie et de Croatie. Le siège de Sarajevo et le massacre de Srebrenica réveillent en lui ses souvenirs de jeunesse dans l’Allemagne dévastée de 1945.
« Ils recommencent leurs conneries ! ». Il écrit de plus en plus sur la guerre et la folie des hommes.
C'est la fin des années jubilatoires.
Le portrait, le portrait des autres, ça m’a toujours plus ou moins attiré
Déjà quand j’étais à l’école en Autriche je dessinais très souvent le portrait de Nietzsche. Parce que primo il avait une gueule à dessiner, et aussi parce que j’ai commencé à lire Nietzsche à l’âge de treize ans. « La généalogie de la morale » une œuvre très difficile, mais aussi des œuvres plus faciles d’accès de Nietzsche, ça m’a toujours intéressé.
Et partout où j’étais dans ma vie, sauf en Indochine, je me débrouillais toujours pour avoir des œuvres de Nietzsche sur moi. Et paradoxalement parce ce que Nietzsche a aussi écrit « L’antéchrist », j’avais toujours une bible sur moi, mais une bible Luthérienne parce que je l’aimais pour son langage poétique, sa force poétique. Pas tant pour des questions religieuses mais pour sa qualité en tant qu’œuvre littéraire.
Quand tu fais un portrait
Autoportrait ou le portrait d’un autre, c’est toujours une interrogation de l’homme sur lui-même, sur la réalité humaine ou sa finalité si on peut dire.
1993 - Exposition - Galerie Dany Simon - Toulouse
1994 - Exposition - Galerie Lillebonne - Nancy
1994 - Exposition - Galerie de Fontvieille
1996 - Exposition - Galerie de Fontvieille
1996 - Exposition - Galerie Lillebonne - Nancy
1996 - Exposition - Galerie Dany Simon - Toulouse
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1996 - Son état de santé se détériore
Sa vue baisse, il se fait soigner les yeux. « Depuis des mois, je dessine, griffouille, noir sur blanc, du graffiti pour la plupart », écrit-il à cette époque. Est-ce mes yeux ? « Plus je cherche des tons francs et des dégradés, des contrastes fins et subtils, plus ça déraille, se mélange et finit en merde.
Décidément quelque chose ne fonctionne plus. Quelque part ça a déraillé ». L’idée même d’exposer dans ce contexte devient risible. Sa dernière œuvre peinte est datée du 30 octobre. Il se consacre au dessin à la mine de plomb encore une année.
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1997 - Derniers dessins
Il abandonne la tempera au profit du dessin à la mine de plomb. Au travers de cette technique, il atteint un sommet dans la maîtrise du dessin : ce sont peut-être les dessins les plus forts et les plus poignants qu'il ait produits. Certains sont même prémonitoires : autoportraits incarnés, décharnés…
Ce qui m’a toujours chatouillé
Quand on dessine quelque chose, c’est figer une forme fixe. J’aime bien Matisse, j’aime bien par exemple les portraits que faisait Matisse, c’est très net, c’est la courbe presque idéale, mais pour moi c’est un peu maigre tu vois. Evidemment c’est une très grande économie d’énergie et de moyens mais je crois que ça se joue au détriment d’une espèce de sensibilité. La sensibilité de Matisse est pour moi une sensibilité trop abstraite n’est ce pas ? Pour moi il me faut une approche charnelle si on peut dire.
Finalement tous les traits, les coups de pinceaux sont des caresses de l’espace, la caresse de la réalité si on peut dire. Je ne le prends pas avec des mains brutes comme un sculpteur ou un forgeron qui forge son truc avec un chalumeau. Je dessine presqu’avec une grande plume, très tendre…
Ses derniers dessins
Furent le miroir intérieur de son ultime combat et de son art tout entier. Pathétiques et beaux, universels. Entre Bacon et Giacometti, Cranach, Dürer, explorant le territoire de la souffrance et du dépassement de soi, vers ce quelque chose qui serait l’art. Cette trace pour questionner, durer, transmettre. Cet espace dans lequel l’artiste est confronté à toutes ses émotions, pour traquer un accord universel, donner du sens. S’il y en a. Sur le papier, c’est son propre reflet qu’Erwin triture, torture. Avec lucidité, ironie, un goût du paradoxe qui était le sien, dans le trait comme dans le verbe.
Francis KOCHERT - Grand reporter, écrivain, critique d'art - Mai 2001
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1998
Après plusieurs interventions chirurgicales dues à des problèmes veineux et artériels, son état de santé déclinant entraîne une lassitude physique et mentale. On lui diagnostique un cancer des poumons d'un stade déjà avancé.
Il accepte la radiothérapie et la chimiothérapie (très éprouvante), mais refuse toute intervention chirurgicale « Je ne vais pas me faire ouvrir en deux ! ».
A partir de ce moment-là, c’est un homme en décomposition, mais qui fait face courageusement. Il a arrêté de peindre ; désormais, il ne dessine plus. Il cesse d’écouter de la musique. Il s’accorde quelques cigares et verres d’alcool « Bof… Si c’est pour gagner quinze jours ! ». Il n’a plus la force de monter dans son atelier au deuxième étage.
Ces circonstances l'incitent à refuser deux propositions d'exposition à Los Angeles. L'une au musée de DownTown et l'autre à la galerie de Ross Watkins. L’insistance de ses amis Roger Wiltz et Mickael Knobel convainc Erwin Trum d’exposer à la galerie Am Stephansberg à Bamberg en Allemagne. Il en revient très malade. Il refuse une importante exposition à Saint-Rémy de Provence, prévue pour l’année suivante.
1998 - Exposition - Galerie Am Stephansberg - Bamberg (RFA)
2000 - Dernière expo
Son amitié indéfectible avec Marc Decaux, directeur de la galerie Lillebonne à Nancy, l’encourage à accepter une exposition à Nancy. Marc Decaux s’occupe de tout. Ce sera sa dernière exposition.
2001
Il décède à Nîmes le 7 février des suites de sa maladie.
Expositions post-mortem
2001 - Exposition - Galerie Lillebonne - Nancy
2002 - Exposition - Hôtel de région - Metz
2005 - Exposition - Rétrospective - Arsenal - Metz
2005 - Exposition - Galerie la Passerelle - Nogent sur Marne
2007 - Exposition - galerie Lillebonne - Nancy
2011 - Exposition - Orangerie du Sénat - Paris
2011 - Exposition - Centre mondial pour la paix - Verdun
2011 - Exposition - Galerie trait d’union - Neuchateau
2013 - Exposition - Galerie art d’enfer - Metz
2014 - Exposition - Galerie art d’enfer - Metz
2016 - Exposition - Château de Courcelles - Montigny-les-Metz